Historique

Quand la FSGT révolutionna l’escalade libre

Voilà plus de 40 ans que la falaise de Hauteroche, en Côte-d’Or, est devenue, par l’action de la FSGT, un lieu reconnu de l’escalade. Surtout, la conception pionnière – une grimpe accessible à tous et toutes, en toute autonomie – de ce site s’est depuis imposée, y compris à travers le monde, grâce à l’investissement associatif continu des militant·es et bénévoles du sport populaire.

Dans les années soixante, l’escalade et l’alpinisme, autrefois complémentaires, semblent en rupture. Pour repousser les limites humaines, les alpinistes développent par exemple l’escalade artificielle, tandis que d’autres parlent de «jaunir» les voies – c’est-à-dire peindre en jaune les pitons ne devant plus être utilisés comme points d’aide, mais seulement comme points d’assurage en cas de chute. Une escalade épurée dite «libre» voit le jour avec comme éthique la formule suivante : grimper en tête, en libre et à vue.

Dans ce contexte, des pionniers de l’escalade populaire FSGT décident de franchir une nouvelle étape en posant clairement les termes politiques de la diffusion de cette pratique. Ils ou elles défendent le principe et la possibilité de la démocratisation face aux logiques élitistes. Tout le monde doit pouvoir s’y adonner sans mettre sa vie en danger. Regroupé·es derrière la Commission Fédérale de Montagne (CFM) – qui rajoutera «Escalade» plus tard (CFME) – ils et elles reprenaient les conceptions élaborées par leurs aînés (André Koubbi, Raymond Leininger ou Jean Vernet) (*) : toutes les formes de pratiques pour tous et toutes, grimper en responsable, à son niveau, en tête.


Ouvrir une falaise «à l’aise»

C’est durant cette période charnière que le site de Hauteroche, en Côte-d’Or, va être choisi, en 1977. Gilles Rotillon, membre du club de Sainte-Geniève-des-Bois (91), lors d’une réunion de la CFM, émit l’idée d’équiper une falaise selon les principes FSGT : ouverte à tous, grimpe en tête à tous les niveaux.

Les camarades de Dijon en dénichent une en moins de 15 jours : Hauteroche. Les autres «géniteurs» s’appellent Guy Arnaud, président du club Amitié-Nature de Dijon, appuyé par René Masson, maire entre 1954 à 1981, et Michelle Arnaud, membre du collectif montagne de la Côte-d’Or. Sans eux et elle, cette belle aventure n’aurait pas existé.

Il s’agissait d’abord d’ouvrir une falaise dite «à l’aise», pour que tout·e débutant·e puisse grimper en tête dans des voies faciles, en toute sécurité. Aucun style d’escalade n’est imposé, contrairement à la tendance dominante de l’époque (les voies faciles n’étaient pas protégées, les voies moyennes étaient exposées et seules les passages difficiles étaient protégés). Hauteroche sera, ainsi, la première falaise en France équipée selon des normes systématiques de protection de la chute du grimpeur. Elle demeure en outre une des rares à offrir autant de voies de faible niveau (une trentaine de voies de niveau 3 et 4 pour débutant·es). Certes les mentalités ont malgré tout évolué. Toutes les falaises de l’Hexagone sont maintenant façonnées pour l’essentiel selon des critères issus de cette première expérimentation. Gilles Rotillon n’hésite pas d’ailleurs à revendiquer que le modèle Hauteroche s’est également imposé comme «une norme internationale». Une réalité que ce grand voyageur a pu observer, par exemple, y compris sur le site réputé de Kalymnos en Grèce. Ce fut une lente évolution. La FSGT n’en tira aucun bénéfice, aucune gloire.


Un millier d’heures de travail bénévole

Mais ces convictions seraient restées lettres mortes sans le travail et les actes de l’armée invisible de la “Montagne – Escalade FSGT”. Ici commence la longue liste anonyme des bénévoles et des clubs FSGT qui vont assurer l’entretien de la falaise. Une spécificité qui garde toute son importance alors que la logique de professionnalisation gagne du terrain. D’abord le gros du boulot est fourni par des adhérents du Red Star Club de Champigny-sur-Marne (RSCC, 94) et également des grimpeurs de Sainte-Geneviève-des-Bois (91) et de l’ASG Bagnolet (93). Au début des années 80, René Finet du RSCC et la CFME entreprennent un ré-équipement plus fiable. Par la suite, Alain Finet, adhérent de la section escalade du RSCC, sera pendant une quinzaine d’années le cerveau et l’exécutant principal de l’évolution de la falaise. Il fut aussi, avec l’aide de la Commission Fédérale Montagne Escalade de la FSGT, l’auteur des trois premières éditions du topo.
 
Rééquipement de la falaise

En 1993, le RSCC passe la main (un millier d’heures de travail bénévole et près de 20 000 francs investis en 15 ans) à Jean-Marc Caglinni de l’US Ivry qui fournit un labeur important et méticuleux pour terminer la sécurisation de la falaise. De nouvelles voies et des variantes sont ouvertes. Pendant un temps le nettoyage est pris en charge par les adhérent·es de Bobigny (93) tel Alain Lévèque (aujourd’hui ES Stains), de Saint-Ouen (93) tel David Garnier ou de Saint-Arnoult (78), avant que la commission escalade du Val-de-Marne en assume le suivi de façon sporadique. Le chef d’orchestre d’alors est Daniel Dupuis (US Ivry) accompagné de Fabrice Duffault (US Saint-Arnoult). Ainsi, toutes les bonnes volontés des clubs du Val-de-Marne, et plus généralement les grimpeurs et grimpeuses FSGT d’Ile-de-France, se regroupent pour participer aux week-ends «nettoyage et équipement» ou aux modules d’équipement lors des formations fédérales d’initiateurs·trices d’escalade FSGT.

Cette énumération peut sembler fastidieuse, mais elle est indispensable pour comprendre à quel point cette expérience n’a pu perdurer que grâce au dynamisme de la vie associative FSGT. Une vie associative qui a des visages et des noms.


La fête des falaises

La falaise se retrouve malheureusement un temps délaissée. En 2002, après un accident de randonnée, la mairie contacte la FSGT pour envisager une sécurisation des zones d’accès. Une réunion a lieu sur place le 16 novembre 2002, entre Michel Andriot (maire), Brigitte Taupenot (maire-adjointe et prof d’EPS) et Daniel Dupuis (FSGT 94). L’idée d’une, puis de deux journées découverte pour les habitant·es du village, en 2003, est actée. Ces initiatives pousseront de jeunes locaux motivé·es par cette activité sportive à créer en 2004 l’association Hauteroche-Découverte. Celle-ci a pour objectif, entre autres, de promouvoir l’escalade, de servir de relais entre la municipalité et les responsables de la CFME, d’assurer l’entretien du site et de l’aire de repos (aire de bivouac) ainsi que des sentiers d’accès et de secours.

En 2006, débute l’écriture du nouveau topo par Bruno Poindron (adhérent de Grimpe 13 Paris), rejoint par Luc Barruel (RSC Champigny) et Rémi Cappeau (AS des Cheminots et Villeneuvois 94). Ce dernier devient un des acteurs essentiels de cette nouvelle «époque» de Hauteroche. Il a découvert la falaise au début des années 2000 et devient très rapidement le chef d’orchestre de l’entretien. C’est grâce à son investissement, et à celui des bénévoles qu’il a su motiver, que la falaise est aujourd’hui autant utilisée et fréquentée toute l’année. «Il y a des choses que je peux faire tout seul, d’autres pour lesquelles j’ai besoin d’aide et celles que je fais avec d’autres pour transmettre», raconte-t-il avec modestie.

Les relations avec le village et le monde des grimpeurs et grimpeuses ont, elles aussi, pris une autre dimension. Les 30 ans de la falaise d’escalade ont été l’occasion pour Hauteroche-Découverte d’initier la première «Fête des falaises» en mai 2007. Désormais annuelle, c’est un moment convivial pour dire merci à tous les anonymes ayant contribué à ce projet original et novateur. Elle permet de tisser des liens entre les grimpeurs et la population locale, de réunir plus de 100 personnes et de financer l’association pour l’entretien de l’aire de bivouac ou des chemins d’accès.

Ces dernières années, la falaise est aussi le lieu de passage pour le trail (course en pleine nature) de la Voie romaine au printemps. Les chemins «de grimpeurs» font la joie des traileurs ou traileuses qui, sans le savoir, participent par leur simple passage à leur entretien… Des randonneurs et randonneuses s’y aventurent régulièrement pour s’approcher au plus près de cette curiosité géologique. Une falaise qui tend à redevenir omnisport, comme à ses débuts quand les pratiquant·es du club Amitié Nature de Dijon s’en servaient comme point de chute pour leurs diverses activités (camping, randonnée, vélo, etc…), d’où l’existence, dès le départ, d’une aire de bivouac aménagée. Si la grimpe occupe toujours la place centrale, la falaise est mutualisée, partagée, presque vivante !

Mais si elle semble épargnée par le temps, elle aura toujours besoin de nouvelles énergies pour exister comme terrain de jeu. Alain Finet, qui a ouvert à lui seul 98 voies, ne cache pas aujourd’hui son émotion : «Ce qui fait plaisir c’est de voir des gens, qui n’étaient pas nés au moment de la fondation de la falaise, se l’approprier, l’entretenir… Un tel partage, sur une aussi longue durée, je ne vois cela nul part ailleurs, ce feeling nature si particulier, qui continue et même qui explose.»

(*) A. Koubbi : fondateur de la section montagne de l’US Ivry (94) ; R. Leininger, issu du «Groupe de Bleau» (grimpeur de rochers de la forêt de Fontainebleau) utilisera des techniques novatrices d’escalade dans les années 1930 pour réaliser des ascensions de haut niveau, comme la face nord des Drus ; J. Vernet, grand novateur de l’alpinisme dans les années trente, notamment sans piton.